La co-vigilance est une construction au croisement de l’expertise d’un cabinet de prévention en risques psychosociaux et du dispositif de prévention préalablement existant d’une entreprise. Différentes missions d’accompagnement lors d’annonces de réorganisation ont fait émerger les bénéfices inhérents à l’expérience d’un maillage continu entre les acteurs de prévention internes à l’entreprise impactée et les intervenants du cabinet de prévention des risques psychosociaux choisi. Quels sont les enjeux d’un espace de veille dans les contextes de réorganisation ? Comment penser et agir la « co-vigilance » à partir d’un dispositif de prévention déjà existant ? Pourquoi maintenir et faire évoluer le travail collaboratif en véritable outil de protection au-delà de la situation de crise ?
S’insérer dans un dispositif de prévention déjà existant
Lors de l’annonce d’une réorganisation, un cabinet de prévention en risques psychosociaux est choisi dans le cadre des mesures d’accompagnement. Sa mission débute le plus souvent par l’ouverture d’une ligne de soutien téléphonique dédiée et celle d’un espace d’écoute aux collaborateurs auxquels sont proposés des entretiens individuels sur site.
Les intervenants du cabinet qui incarnent la mission déploient le dispositif d’accompagnement dans un contexte potentiellement déstabilisateur et générateur de risques psychosociaux. En effet, que l’annonce de la réorganisation ait été faite ou non, une forte tension existe du fait des changements pressentis par les collaborateurs.
Dans le cadre de sa mission, le cabinet s’associe au dispositif de prévention de l’entreprise et apporte son soutien à l’écosystème de prévention. Les acteurs internes de la politique de prévention ont probablement déjà constitué un « espace de travail » dans lequel sont abordées les questions relatives aux risques psychosociaux. Cet espace est un lieu ressource important par sa connaissance des problématiques de prévention au quotidien et l’identification des fragilités du mode ordinaire de fonctionnement de l’organisation.
Aussi, pour l’équipe d’intervenants, est-il primordial de rapidement créer des liens avec les préventeurs internes, qui peuvent eux-mêmes être impactés par la réorganisation, et de prendre également le temps de comprendre le fonctionnement de l’espace de « veille RPS ».
L’idée est toujours de réfléchir conjointement aux situations individuelles ou collectives à risque dans le contexte exceptionnel de la réorganisation.
La co-vigilance : un travail collaboratif au quotidien
Avec l’installation du dispositif d’accompagnement et l’avancée des différentes étapes du Plan de réorganisation (annonce, période de consultation, départs volontaires, notifications de départs contraints, accompagnement des transitions professionnelles…), l’alliance avec les acteurs internes de la prévention se renforce progressivement. Une relation de confiance professionnelle s’établit qui permet alors un réel travail de soutien et de prévention sur le terrain et une grande agilité entre toutes les personnes ressources lors de la prise en charge des situations identifiées comme « inquiétantes ».
Un préventeur pourra ainsi solliciter un avis rapidement, demander de l’aide pour analyser une situation qui le préoccupe, et même exprimer son indisponibilité ou sa difficulté à réaliser un accompagnement tout en assurant le relais de la situation pour qu’elle soit traitée.
Grâce à ce maillage, « l’espace de veille » permet d’identifier et d’éviter les logiques d’isolement qui peuvent naître tout au long de réorganisation. Toute personne concernée de près ou de loin par les changements annoncés peut en effet être amenée à un moment ou un autre à se replier sur elle-même en raison d’une perte de repères.
L’approche multidisciplinaire permet ainsi une véritable gestion en réseau des problématiques sensibles qui autorise une « répartition » entre les différents acteurs de l’espace de vieille de la charge émotionnelle et sociale que ces dernières engendrent.
Maintenir dans la durée la vigilance collective
Tout au long du projet de réorganisation, le système de prévention évoluera. Des acteurs de « l’espace de veille RPS » quitteront l’entreprise dans le cadre du Plan de départ et de nouvelles ressources le rejoindront. Les consultants en reclassement pourront intégrer et dynamiser les échanges dans l’espace de veille grâce à leur accompagnement individuel et collectif des collaborateurs et aux Ateliers de Transition Professionnelle.
Bien que les managers peuvent eux-mêmes être impactés par le plan, ils deviennent, de par leur fonction, de plus en plus acteurs de cette fonction de co-vigilance, sans être partie prenante de l’espace de veille. Le lien privilégié de certains managers de proximité avec leurs collaborateurs permet de maintenir une veille même à distance sur les risques pouvant émerger. Ils jouent un rôle important dans le recueil des problématiques plus “invisibles” et dans l’alerte des acteurs de la prévention.
La présence sur site et l’astreinte téléphonique du dispositif d’accompagnement du cabinet RPS n’ayant pas vocation à perdurer, l’ancrage des intervenants (psychologues externes) dans « l’espace de veille » et le travail pluridisciplinaire tissé avec le management de proximité vont permettre de maintenir une vigilance collective sur des situations individuelles.
L’espace de veille, un espace de prévention opérationnel et soutenant
Dans un contexte de réorganisation, l’espace de veille peut être le seul lien de travail qui subsiste entre tous les acteurs de la prévention. Il résulte d’un partenariat qui réussit à se renforcer en dépit des aprioris initiaux entre les différentes instances.
Si ce système de prévention, cette “co-vigilance” inédite, est une sorte de création collective en situation de crise, il n’en demeure pas moins un véritable outil de protection, même s’il peut rester « silencieux » la majorité du temps. Il est néanmoins important de le maintenir ouvert et vivant dans le cadre d’une politique de prévention active, ne serait-ce que pour ré-utiliser les canaux d’entraide et de communication et agir rapidement lors d’un éventuel signalement.