Pour favoriser une implication forte de la direction, ainsi qu’un travail collégial dans le domaine de la santé au travail, le législateur a mis en place en 2001 le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP). Ce document doit répertorier et hiérarchiser l’ensemble des risques auxquels sont exposés les travailleurs au sein d’une organisation. Dans un deuxième temps, la loi Santé au Travail, rentrée en application en mars 2022, a insisté sur l’importance de la prévention quant aux risques psychosociaux. Elle invite les entreprises à mettre en place un véritable travail de prévention et une dynamique collective visant à réduire l’ensemble des risques professionnels, y compris les RPS. Cette incitation à développer une véritable culture d’entreprise autour de la prévention et de la responsabilisation à la fois collective et individuelle a permis d’inscrire légalement les risques psychosociaux au sein du DUERP. Pour que le DUERP ne reste pas un document technique peu utilisé, mais au contraire, un outil pour une politique de prévention efficace et dynamique, nos experts vous expliquent comment le rédiger. Cet article s’adresse aux employeurs, mais également à l’ensemble des acteurs de la prévention au sein d’une entreprise : service de santé au travail, médecine du travail, CHSCT, élu du personnel…
Définition et utilisation
Définition et exigences
Au regard de son obligation générale de sécurité et de résultats, l’employeur doit réaliser une évaluation des risques professionnels propres à son entreprise : « Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est obligatoire dans toutes les entreprises dès l’embauche du 1er salarié. L’employeur consigne dans ce document le résultat de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité auxquels peuvent être exposés les salariés. »
Cette obligation est régie par le Code du travail, et plus spécifiquement les articles R4121-1 à R4121-4. Elle a été instaurée en 2001 ,pour faire suite à la catastrophe AZF de Toulouse.
Le DUERP est donc un document important. Il permet de répondre à « trois exigences » fondamentales d’une politique de prévention des risques :
- « La cohérence » : en établissant un seul document regroupant toutes les données issues « l’analyse des risques auxquels les travailleurs sont exposés ».
- « La commodité » : le fait que l’ensemble des données soient réunies sur un seul document permet de suivre aisément les démarches réalisées dans le cadre d’une politique de prévention
- « La traçabilité » : si le DUERP est effectué correctement et actualisé en fonction des changements de l’entreprise, il est un document (informatique ou papier) pour que tout le monde puisse évaluer l’état et l’évolution de la politique de prévention de l’organisation.
S’appuyer sur un document tel que DUERP pour mener une politique de prévention permet de centraliser l’ensemble des informations, de pouvoir suivre le déploiement des actions, et d’en mesurer les effets.
De plus, parce que le DUERP a la particularité de faire intervenir toutes les instances concernées par l’élaboration d’un plan de prévention concernant la santé physique et psychique des salariés (CSSCT, service de santé au travail…), il est un moyen non négligeable pour créer une dynamique collective au sein de l’entreprise. En effet, bien que ce soit à l’employeur de le rédiger, il doit faire appel à d’autres acteurs de l’entreprise pour l’élaborer.
Comment réaliser son DUERP
Il n’existe pas de formes préétablies à remplir ni de schéma à suivre. Cependant, il existe des usages. La démarche d’évaluation est structurée et comprend les étapes suivantes :
Préparation de l’évaluation des risques
- Quels services sont concernés
- Quels types de tâches sont à risque
Identification des risques et classement des risques
- Quelles sont les tâches comportant des risques
- Évaluation de la pénibilité
- Quelle est la gravité de chaque risque et à quelle fréquence le risque se présente
Proposition des actions de prévention
Le DUERP doit être actualisé au moins une fois par an dans les entreprises de plus de 11 salariés et, dans les entreprises de moins de 11 salariés, mis à jour en fonction des circonstances :
- Si une décision d’aménagement modifie les conditions de travail.
- Si une nouvelle information concernant les risques ou la prévention de ces risques paraît intéressante pour repenser la prévention.
Pour orienter la rédaction du DUERP ainsi que son actualisation, le législateur a listé plusieurs points. C’est ce qu’il a nommé les 9 principes de prévention :
- Éviter les risques, c’est-à-dire supprimer le danger ou l’exposition au danger
- Évaluer les risques, c’est-à-dire apprécier l’exposition au danger et l’importance du risque pour prioriser les actions de prévention à mener
- Combattre les risques à la source, c’est-à-dire intégrer la prévention le plus en amont possible, notamment dès la conception des lieux de travail, des équipements ou des modes opératoires
- Adapter le travail à l’homme, en tenant compte des différences individuelles, dans le but de réduire les effets du travail sur la santé
- Tenir compte de l’évolution de la technique, c’est-à-dire adapter la prévention aux évolutions techniques et organisationnelles
- Remplacer un produit ou un procédé dangereux par ce qui l’est moins, lorsqu’un même résultat peut être obtenu avec une solution présentant des dangers moindres
- Planifier la prévention en intégrant technique, organisation et conditions de travail, relations sociales et environnement
- Donner la priorité aux mesures de protection collective et utiliser les équipements de protection individuelle en complément des protections collectives si elles se révèlent insuffisantes
- Donner les instructions appropriées aux salariés, c’est-à-dire les former et les informer pour qu’ils connaissent les risques et les mesures de prévention
De manière générale, il doit être en accord avec l’état actuel et attester ainsi d’une réelle politique de prévention au sein de l’organisation. De plus, il doit être consultable par l’ensemble des acteurs du monde du travail pendant 40 ans. Depuis la loi Travail, le DUERP doit faire l’objet d’un dépôt dématérialisé sur un portail numérique.
Les nouveautés de la loi Travail du 18 mars 2022
Depuis la loi Travail et le Décret n° 2022-395, les entreprises de plus de 50 salariés, pour rester en conformité avec le Code du Travail, doivent inscrire au sein du DUERP un plan annuel de prévention. LE DUERP ne peut plus rester ce document rapidement rempli et remisé dans un coin. Il devient un instrument essentiel d’une culture d’entreprise centrée sur la prévention.
En effet, le DUERP est maintenant associé au PAPRIPACT (Programme Annuel de Prévention des Risques Professionnels et d’Amélioration des Conditions de Travail) et ce document concrétise ce qui restait bien souvent lettre morte avec le seul DUERP :
- Il détaille les mesures de prévention que l’organisation va prendre au cours de l’année à venir (tous risques confondus)
- Il identifie comment vont pouvoir se mettre en place ces mesures (les ressources dont l’entreprise dispose)
- Il détaille les différentes étapes de sa mise en œuvre
Insistant sur la prévention en matière de santé et de conditions de travail, la loi Travail a obligé les entreprises à intégrer les RPS au sein du DUERP. Seulement, beaucoup d’entreprises se questionnent sur les approches à développer, de façon très opérationnelle, pour traduire dans le Document Unique et le programme annuel de prévention, l’évaluation des risques psychosociaux.
Pour cela, il faut s’appuyer sur deux principes :
- Considérer le DUERP comme un véritable outil pour réaliser une politique de prévention. Il est maintenant indispensable de ne pas s’attacher uniquement aux risques objectifs et physiques mais de pouvoir également évaluer des risques pouvant paraître plus impalpables, ou tout moins, relevant de ressentis subjectifs.
- Pour pouvoir inscrire les RPS au sein du DUERP, il est conseillé de suivre la grille proposée par le rapport Gollac.
En effet, il est très important de prendre en compte les points de vue des collaborateurs et leurs ressentis par le biais des managers. Pour mieux entendre cette parole la grille des facteurs Gollac représente un appui important.
- L’axe « intensité (et complexité) du travail et temps de travail ». Il s’agit d’inscrire la durée moyenne de travail par salarié, l’absentéisme, les horaires atypiques gênant la vie personnelle, le taux de turn-over et de postes non pourvus. Cette liste doit être établie par service et par catégorie de personnel afin d’identifier des facteurs et des problématiques communes plus aisément. Il est également important d’objectiver le ressenti des collaborateurs par rapport aux exigences et aux objectifs qu’ils ont. Cela afin de déterminer si ces derniers sont en accord avec leurs compétences et réalistes.
- La notion d’exigence émotionnelle. Vous pouvez mesurer le nombre de poste exposées à des risques de violences verbales ou physiques de la part de la clientèle. Le taux d’absentéisme parmi ces postes. Il est possible de recenser le nombre de dysfonctionnement effectifs au sein de chaque service : combien de salariés ont remonté des expériences négatives avec la clientèle et de quelle type était-elles ?
- L’idée d’autonomie au travail. Il a été établi par le rapport Gollac qu’une certaine autonomie était bénéfique pour les conditions de travail des collaborateurs. C’est pourquoi vous pouvez établir une liste des postes très contraints et répétitifs, soumis à des procédures strictes et la manière dont l’entreprise tend à équilibrer par d’autres moyens cette pénibilité.
- Les rapports sociaux au travail. Vous pouvez ici répertorier les différents conflits connus au sein de l’organisation, les actes de harcèlement et violence s’il y en a. Selon le rapport Gollac, les rapports sociaux au sein de l’organisation « doivent être examinés en lien avec les concepts d’intégration (au sens sociologique), de justice et de reconnaissance ».
- La souffrance éthique ou conflit de valeurs. « La souffrance éthique est celle ressentie par une personne à qui on demande d’agir en opposition avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles ».
- « L’insécurité de la situation de travail comprend l’insécurité socio-économique et le risque de changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail ». Vous pouvez mesurer le nombre de CDD dans votre entreprise, le nombre de poste qui connaissent ou vont connaître des évolutions voire des suppression afin de cibler au mieux une politique de prévention et de formation.
Par ailleurs, l’objectivation peut également passer par l’administration d’un ou plusieurs questionnaires. Ces derniers vous permettent de prendre le pouls de vos collaborateurs, mais également de vous appuyer sur la robustesse et la pertinence des méthodologies statistiques pour analyser le ressenti des différentes catégories de personnel.
Une fois que la majorité des RPS sont répertoriés, il est important de détailler un plan d’action de prévention en fonction du type de risque :
- Analyse. Établir les risques ciblés.
- Quoi ? Décrire les mesures de prévention à mettre en œuvre(aussi bien primaire que secondaire).
- Comment ? Quel est le coût de ces mesures et quels sont les délais de mise en place et de contrôle.
- Qui ? Quelles sont les personnes en charge de l’évaluation de la politique de prévention et de mesurer les effets.
Mise en place et communication
Une fois le DUERP réalisé ou actualisé, il est fondamental que celui-ci ne reste pas lettre morte. Pour cela il est impératif de :
- Communiquer
- Rendre le document public et consultable
- Veiller à la mise en œuvre des actions de prévention et communiquer dessus
- Veiller au suivi de ces actions, à leur pérennité mais également à les rendre évolutive en fonction du contexte
- Se reposer sur une dynamique collective