Quand on envisage le droit à la déconnexion, on court toujours le risque de l’ethnocentrisme. N’oublions pas qu’au moins 50 % de la population active française n’est pas concernée par les débordements engendrés par l’ultra-connectivité professionnelle : les ouvriers, les employés et une partie des professions intermédiaires ne sont pas continuellement connectés. D’une part, cela est inutile professionnellement ; d’autre part, ces salariés ne sont tout simplement pas équipés d’outils nomades (ordinateur portable, Smartphone, etc.). Aussi, le droit à la déconnexion est-il certes un droit à portée universelle, mais dans les faits il s’agit d’un droit très localisé, ciblé. Il s’adresse à tous, mais ne concerne finalement que certaines catégories professionnelles : essentiellement les cadres du tertiaire, ultra-connectés, bien équipés et sur des activités qui appellent rapidité et réactivité.
Le droit à la déconnexion : un droit à portée universelle, mais dans les faits, un droit localisé qui concerne prioritairement les cadres.
Xavier Zunigo, dirigeant et fondateur d’OLYSTIC
Le droit à déconnexion, représente-t-il un progrès ?
Le droit à la déconnexion représente naturellement une avancée substantielle pour le développement d’une culture de la prévention dans les entreprises françaises ; et ce, même si le cadre légal du temps de travail permettait de faire l’économie d’une nouvelle loi. Le droit à la déconnexion doit cadrer les usages excessifs du numérique, mais règle-t-on pour autant la question de la charge de travail, et notamment de la surcharge de travail, en proclamant un droit qui a pour caractéristique de ne pas être un droit coercitif, mais un droit incitatif ? La question doit être posée et elle est souvent éludée dans les entreprises. Rappelons que le droit à la déconnexion est une invitation, une simple incitation, pour que les entreprises prennent les dispositions nécessaires pour se déconnecter, rien ne les oblige à agir. Aujourd’hui, les mesures restent très limitées, les entreprises ont essentiellement agi dans un domaine où elles excellent : l’élaboration de chartes et, elles s’inscrivent, comme souvent, dans une logique qui fait porter sur la responsabilité individuelle, une responsabilité qui relève avant tout du collectif et des pratiques collectives.
« Les entreprises s’inscrivent, comme souvent, dans une logique qui fait porter sur la responsabilité individuelle, une responsabilité qui relève avant tout du collectif et des pratiques collectives. »
Xavier Zunigo, dirigeant et fondateur d’OLYSTIC
Le droit à la déconnexion, une attente paradoxale de droit à la liberté
Personne n’ignore que les technologies numériques sont un véritable progrès pour l’efficacité au travail : elles offrent une souplesse et une réactivité inédites et transforment positivement la relation aux clients ou les rapports hiérarchiques. C’est un fait : l’usage du numérique est plébiscité par les salariés, excepté quand les technologies représentent une menace pour l’emploi. Aussi, dans les enquêtes, on constate que pour les cadres, qui sont les plus exposés aux effets pervers des nouvelles technologies, le droit à la déconnexion ne signifie pas coupure numérique, mais liberté dans les usages et absence de sanction quand ils ont décidé de mettre de côté le travail en soirée, le week-end ou lors de leurs congés. Les cadres veulent se connecter quand ils le souhaitent, quand ils le jugent nécessaire et utile, et ne veulent plus connaitre pression et sanction quand ils ont choisi de se déconnecter. Pour autant, cette aspiration à la liberté ne doit surtout pas empêcher les entreprises d’investir le champ de la prévention sur les risques de l’ultra-connectivité et de se poser les bonnes questions sur leur organisation du travail et leur culture de travail.
« Le droit à la déconnexion ne signifie pas coupure numérique, mais liberté dans les usages. »
Xavier Zunigo, dirigeant et fondateur d’OLYSTIC
Le nouvel enjeu le droit à la concentration
Le droit à la déconnexion ne concerne pas seulement les liens entretenus avec son entreprise une fois la journée de travail terminée. Un enjeu fort se dessine autour des pratiques numériques sur le lieu de travail. Aujourd’hui, les sollicitations sont permanentes, le travail est haché, les interruptions sont fréquentes, la culture de l’urgence se confond avec la précipitation, les pratiques de protection de mise en copie dans les emails sont massives. Tout cela représente autant de pollutions numériques nuisibles à la qualité du travail et à la qualité de vie au travail. Les entreprises doivent aujourd’hui construire une véritable culture numérique organisée autour de bonnes pratiques qui autorisent la mise à distance du numérique grâce au droit à la déconnexion du travail, mais surtout par la promotion d’un droit la concentration sur le lieu de travail, c’est-à-dire des moments de calme, de tranquillité où les collaborateurs peuvent réellement travailler, se focaliser sur une tâche et être beaucoup plus efficaces et productifs. C’est un véritable enjeu pour les entreprises. Les entreprises durablement efficaces sont les entreprises qui arrivent à sortir de ce que je qualifie du « syndrome de la pierre qui roule ». Aujourd’hui, finalement, entrer dans la modernité appelle une mise à distance de la modernité.
Aujourd’hui, entrer dans la modernité appelle une mise à distance de la modernité.
Xavier Zunigo, dirigeant et fondateur d’OLYSTIC