Après notre premier article sur les risques que pouvait représenter la semaine de 4 jours, nous avons interviewé le dirigeant d’ARISTAT-Conseil et d’OLYSTIC, Xavier Zunigo pour qu’il nous donne son avis sur cette organisation du temps de travail. Inscrivant ce phénomène dans les dynamiques actuelles du monde du travail, il nous explique les problématiques auxquelles peuvent être confrontés les entreprises mais également l’ensemble des collaborateurs avec la semaine de 4 jours.
La semaine de 4 jours est-elle une véritable nouveauté ?
Le monde du travail est régulièrement traversé par des effets de mode portés par divers cabinets de conseil qui tentent de promouvoir tels ou tels sujets, des experts prenant position et des intérêts journalistiques ponctuels. On a connu le concept marketing de « bonheur au travail », et aujourd’hui il y a une cristallisation autour de la semaine de 4 jours. C’est en réalité un thème ancien qui ressurgit régulièrement dans le débat public. En 1996, la loi Robien incitait par exemple les entreprises à réaliser une réduction collective du temps de travail (semaine de 32 heures) pour favoriser l’emploi.
Pourquoi ce thème ressurgit aujourd’hui ?
L’intérêt porté à la semaine de 4 jours fait écho à la déstabilisation du monde du travail. Nous sommes aujourd’hui face à une situation globalement problématique dans les entreprises. En effet, la financiarisation, la gestion au cordeau des budgets et des effectifs, l’incertitude grandissante sur l’avenir ont créé une insatisfaction chronique. Cette dernière, qui restait jusqu’alors de basse intensité dans le quotidien, tout en se matérialisant par moment dans de véritables crises psychosociales, a reçu un coup de butoir avec la crise de la Covid. Crise qui a, entre autres effets, ouvert le champ des possibles des salariés. On a vu sur la longue durée (3 confinements) qu’on pouvait vivre autrement, qu’il y avait parfois des bénéfices à se maintenir loin de son entreprise, de ses managers et de ses collègues.
Comment décrire cette période de fragilisation du rapport au travail ?
Les différents confinements ont conforté une mise à distance du travail qui s’est incarnée dans certaines aspirations devenues effectives – notamment l’inscription du télétravail comme un droit social.Mais, cette mise à distance a aussi des conséquences directes sur le marché du travail : une plus grande fluidité, des problèmes de rétention/fidélisation des collaborateurs et un plus grand souci de l’équilibre vie privée, vie professionnelle.
Autrement dit, l’absorption de l’existence par le travail n’est plus une évidence. Le travail a comme été remis dans sa boîte, à côté d’autres boîtes qui participent à la réalisation de soi : la culture, la politique, le couple, la famille, le sport, l’oisiveté… Bien que le travail occupe la plus grande partie de notre temps, il n’est plus, dans la représentation collective, confortée depuis plusieurs décennies par les pratiques de gestion des ressources humaines des grands groupes, le principal espace de réalisation de l’individu.
Face à cette déstabilisation, le monde de l’entreprise cherche à façonner un nouvel équilibre, à stabiliser un nouveau système.
La semaine de 4 jours apparaît donc comme une solution pour pallier les dysfonctionnements actuels ?
Elle apparaît comme une solution attractive pour répondre au besoin général – toutes générations confondues – d’un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. Elle présente l’avantage de répondre aux aspirations actuelles et d’institutionnaliser la mise à distance de l’entreprise.
Par ailleurs, elle représente un argument fort pour bâtir l’attractivité d’une entreprise. Fonctionnant comme un label marketing, elle témoigne d’une entreprise moderne et soucieuse du bien-être de ses collaborateurs.
Pourtant, elle fonctionne avant tout comme un fantasme, voire comme un mirage si elle est appliquée à conditions de travail constantes.
Ainsi, bien qu’elle se présente comme une solution, vous parlez de mirage, pourquoi ?
Dans les faits elle soulève autant de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. A l’instar des services hospitaliers qui ont mis en place une organisation du travail en 12 heures que les salariés plébiscitent car cela les protège d’un rappel en cas d’absence inopinée dans leur service, mais qui ne résout en rien les problèmes de prévention primaire qui relève de l’organisation du travail : la charge de travail, la coordination, la gestion des effectifs…
Dans le monde de l’entreprise, la semaine de 4 jours ne permet pas de répondre aux problèmes touchant les conditions de travail et la santé au travail tel que :
- La charge de travail,
- Les rythmes de travail
- La pression au travail
- Le manque de ressources humaines et matérielles octroyées aux collaborateurs,
- La question des investissements pour l’amélioration et l’efficacité du fonctionnement interne des entreprises.
Ainsi la semaine de 4 jours apparaît comme une fausse solution attractive qui soulève deux problèmes majeurs (cf article) :
- L’augmentation du nombre d’heures travaillées par jour et la réduction des pauses dans la journée afin de maintenir le rythme de production posent à terme d’importants problèmes de santé au travail. Les préventeurs expliquent depuis longtemps la nécessité des pauses dans le travail et l’aspect contre-productif et risqué pour la santé de journées trop longues.
- Par ailleurs, la semaine de 4 jours soulève des problèmes RH. Pour lutter contre la propension de nombreux collaborateurs à choisir les jours non travaillés autour du weekend, les entreprises sont obligées, sauf à vider de sa substance leur organisation, de réguler et d’attribuer des jours spécifiques aux collaborateurs. Ces derniers peuvent vite avoir le sentiment de faire des astreintes et cela crée bien souvent des dissensions et des insatisfactions au sein du collectif.
En conclusion, vous diriez ?
Telle quelle, la semaine de 4 jours ne peut être présentée comme la panacée. Elle ne peut pas résoudre comme par enchantement les aspirations à un meilleur équilibre vie privée, vie professionnelle ou les problèmes de santé au travail. Ce que l’on constate en revanche c’est que la formule la plus efficace et bénéfique semble être la véritable semaine de 4 jours : celle de 32 heures de travail, payés 35 qui se traduit mécaniquement par une augmentation salariale de 20 % et impose de recruter. Il ne semble pas que les entreprises s’engagent dans cette direction… Les mirages, comme l’horizon, s’éloignent quand on s’en approche paraît-il….