La fin du télétravail est-elle proche ?  

Le président d’Amazon, Andy Jassy a annoncé un retour complet au bureau pour tous les salariés. Cette annonce a eu un effet retentissant pour l’ensemble des collaborateurs qui pouvaient jusque-là télétravailler à temps plein.  

Pourquoi les entreprises ont-elles annoncé un retour au présentiel ?

De façon plus générale, les Gafam mais également UPS, l’avionneur Boeing, la banque JP Morgan ou encore Tesla ont réintroduit le travail en présentiel au sein de leurs entreprises. Ces dernières ont imposé une certaine durée de temps passé au bureau et cela indépendamment du poste. Les cadres ont même parfois été soumis à un régime plus strict au nom de la rapidité décisionnelle et opérationnelle. Toutes ces initiatives avaient pour but principal de réintroduire une culture d’entreprise et de refonder le sentiment du collectif nécessaire à la dynamique organisationnelle et à l’engagement.  

La culture du télétravail, déjà très présente aux États-Unis avant la crise, s’est répandue comme une tache d’huile. C’est pourquoi les réactions des Directions ont étaient fortes et soudaines ; elles ont fait contre poids à une généralisation massive du travail en distanciel.  

Ces entreprises américaines ont donc fait marche arrière. Cela sonne comme un rappel à l’ordre du travail, comme un rappel à sa réalité : pour être productif il est nécessaire de faire partie d’un tout : « Nous constatons qu’il est plus aisé pour nos employés d’apprendre, de concevoir, de se former et de renforcer notre culture ; collaborer, échanger et inventer sont plus simples et plus efficaces ; enseigner et apprendre les uns des autres est plus facile ; et les équipes ont tendance à être mieux connectées les unes aux autres », exprime Andy Jassy.  

Mais les pratiques ne sont pas équivalentes aux annonces

Cependant, il est important de rester mesuré. Au-delà des annonces qui ont un air de déjà vu, il existe des pratiques assez différentes. En effet, à en croire Le Courrier international, le taux d’occupation des bureaux n’a pas évolué depuis quelques années dans les dix plus grandes villes américaines. La réalité est plutôt celle du travail hybride, tout comme en France finalement.  

Aussi nous ne pouvons pas si facilement dire qu’à l’âge d’or du flexoffice succède l’âge d’or du RTO (return to office). Le télétravail est devenu un véritable phénomène social dont les organisations ne peuvent s’abstraire : pétitions, grèves à la suite des annonces, déménagements, mode de vie adapté à ces conditions (éloignement géographique du lieu de travail, etc.). 

Selon le Guardian, les entreprises ayant réussi ce retour au bureau à temps plein se divisent en deux catégories : celles comme Goldman Sachs qui sont assez rentables pour payer plus les collaborateurs et celles qui sont prêtes à se séparer d’une grande partie de leurs employés, comme Twitter.

Bien que le retour en arrière semble impossible, les critiques sont sur la table et feront nécessairement partie du jeu dans l’évolution des modes de travail.   

Un contexte spécifique à la France

Cependant, ces changements ne seront pas de même nature en France qu’aux Etats-Unis. En effet, le contexte est très différent entre les deux pays « Les Américains ont été extrêmes avec le distanciel – d’où ce rappel à l’ordre brutal, qui peut avoir des effets désastreux », analyse Bruno Mettling, président-fondateur du cabinet de conseil Topics. « Les Européens, plus raisonnables et équilibrés dans leur rapport au travail, n’ont aucune raison de trancher aussi sévèrement. » 

Bien que les réactions soient moins virulentes, cette vague anglo-saxonne soulève des questions. Et cela d’autant plus que ces annonces sont concomitantes avec la période où les accords interprofessionnels conclus à la suite de la pandémie arrivent à échéance et doivent être renégociés avec les syndicats.  

La crise de la Covid 19 avait complétement bouleversé le statut du télétravail en fournissant une « expérience sociale » à grande échelle en matière de télétravail. […] elle avait balayé les forces inertielles liées aux coûts d’expérimentation, aux attentes biaisées et à la coordination au sein des réseaux, qui inhibaient auparavant le travail à distance ». Barrero et al. (2021) 

Elle a fait du télétravail un phénomène social pour reprendre les mots de Durkheim. Le télétravail n’appartient plus à une logique occasionnelle, il est bel et bien rentré dans les habitudes de travail ; il s’est imposé et c’est pourquoi il est très difficile d’imaginer qu’un retour en arrière soit possible. La marche forcée vers le télétravail a maintenant laissé le champ libre à une nouvelle normalité : les organisations, les managers et les collaborateurs bénéficient aujourd’hui du recul nécessaire pour remettre le sujet sur la table.  

En effet, le marché du travail est un équilibre entre les attentes des salariés et les offres des organisations. Il est impossible d’imaginer qu’une des deux parties puissent être oubliée.  

Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les collaborateurs qui bénéficient le plus du télétravail. Ce sont en général des métiers à forte qualification qui peuvent aisément faire jouer la concurrence et n’ont pas pour habitudes d’être trop contrôler ou surveiller.  

C’est pourquoi les réflexions sur la fin du télétravail représentent plutôt une occasion de réflexion sur la structuration du travail hybride qu’une sanction pour les collaborateurs. Cela est d’autant plus vrai qu’aucune étude n’est réellement concluante sur la baisse de productivité liée au télétravail.

En revanche, l’absence de collectif, de communication, d’inventivité sont des manques conséquents pour une organisation.  

C’est pourquoi, les dirigeants mais également les collaborateurs partent d’un même constat : la présence au bureau génère créativité et innovation. Les rencontres fortuites, la parole non uniquement communicationnelle, bref, l’échange physique d’un groupe d’individus, crée une dynamique intéressante et riches de potentialités : « Le manque de proximité physique nuit à la communication et aux flux de connaissances, au sein des entreprises et entre entreprises, ainsi qu’à la supervision par la direction » (enquête INSEE) 

Mais quel serait un télétravail structuré et orchestré ? une réalité hybride maitrisée ?  

Pour le vice-président de l’association des DRH (ANDRH), Benoît Serre il est tout à fait possible d’entamer un travail réflexif sur le télétravail. Cela est d’autant plus important qu’il est également question de santé au travail. En effet, on a vu que le travail pouvait être synonyme de bien-être, d’engagement, de repos, mais également d’isolement, de repli sur soi et de manque de relations sociales.  

Tout d’abord, pour favoriser le retour des collaborateurs aux bureaux, les directions et les managers ont leur rôle à jouer :  il s’agit de réussir à répondre au souhait d’autonomie des collaborateurs alors même qu’ils sont en présentiel. Cela implique nécessairement de continuer à remettre en question le management vertical pour favoriser des logiques d’amélioration continue, d’écoute et d’accompagnement managérial.  

Ensuite il est essentiel de continuer à favoriser l’utilisation adéquate et optimale des TIC. 

Selon Benoît Serre, il est également utile de penser le télétravail non pas en termes hebdomadaires mais plutôt un quota de jours sur un semestre afin de les répartir de manière appropriée pour les collaborateurs mais aussi pour l’organisation. De façon plus terre à terre, il est préférable d’éviter les lundis et vendredis pour que les jours de repos ne gagnent pas trop aisément sur les jours travaillés mais que les collaborateurs bénéficient d’une sensation de coupure au sein de la semaine.  

Pour conclure sans détour, “siffler” la fin du télétravail c’est un peu jouer les cassandres et mener une lutte don quichotienne contre une réalité maintenant pleinement inscrite.  

Le monde trouve sa rationalité en suivant les logiques d’adaptation des dirigeants, des managers et des collaborateurs aux différents aléas et mutations. Chacun et chaque organisation cherche les meilleures manières de fonctionner et cela en s’appuyant sur des outils qui ne cessent d’évoluer, des demandes et des contextes qui changent, et sur l’importance du facteur humain qui, quant à lui, reste immuable.  

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