En 2007, le Ministère du Travail, à la suite de la crise des suicides chez France Télécom, demande un rapport spécifique sur les risques psychosociaux ; rapport qui permettrait « un système de suivi, notamment statistique, pertinent et efficace ». Au regard du coût économique et sanitaire qu’ils représentent, les RPS sont un enjeu majeur de santé publique.
C’est dans ce cadre-là que Michel Gollac sera désigné pour diriger un « Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail », puis orchestrer et restituer le rapport.
Au travail statistique co-réalisé avec l’INSEE, se sont rajoutées un ensemble d’auditions, de « discussions approfondies » avec les partenaires sociaux et de nombreux scientifiques couvrant des champs de recherche variés et apportant chacun un éclairage particulier sur les risques psychosociaux dans le monde du travail. Il s’agissait de compiler les connaissances sur le sujet, d’unifier les savoirs afin de restituer la complexité de cette notion mais aussi de pouvoir normaliser et in fine professionnaliser l’analyse des RPS en entreprise. Xavier Zunigo, fondateur et dirigeant d’OLYSTIC et d’ARISTAT Conseil, les deux cabinets de notre écosystème, a été auditionné comme spécialiste de l’évaluation des risques psychosociaux par le collège d’expertise.
Construction de la notion
Il était largement admis que les conditions de travail avaient un impact sur la santé physique et psychique des salariés : « … effets importants sur les maladies cardiovasculaires, les problèmes de santé mentale et les troubles musculosquelettiques. Les études ont montré un accroissement du risque de ces pathologies pouvant atteindre 50%% à100%% en cas d’exposition aux facteurs psychosociaux au travail. Or ces trois domaines de santé constituent des enjeux majeurs en termes de santé publique car ils représentent les pathologies les plus fréquentes, les plus coûteuses et les plus invalidantes pour la population adulte au travail ».
Seulement la notion, bien que largement utilisée, n’était pas encore réellement thématisée et uniformisée.
C’est à travers les entretiens mais également la littérature scientifique sur le domaine que Michel Gollac ainsi que le collège dans son ensemble ont étayé cette notion : « Il convient de considérer que ce qui fait qu’un risque pour la santé au travail est psychosocial, ce n’est pas sa manifestation, mais son origine : les risques psychosociaux seront définis comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. La notion de fonctionnement mental est relative aussi bien à des phénomènes cognitifs qu’à des phénomènes psychiques d’une autre nature, si tant est que la séparation ait un sens ».
Cela s’est accompagné d’un grand nombre de précautions et de choix scientifiques :
- « Il est admis que la mesure des traits de personnalité paraît coûteuse et incertaine et ne peut être recommandée dans le cadre d’un suivi. Cependant il est possible et même souhaitable de mesurer quelques variables au niveau individuel comme la situation, la trajectoire sociale, le genre, l’âge, l’origine sociale…
- Les statistiques produites doivent viser l’exhaustivité, sans pouvoir espérer l’atteindre. Un compromis doit donc être trouvé entre d’une part ce souci et d’autre part les contraintes économiques et techniques ainsi que les contraintes d’intelligibilité de l’information produite.
- Disposer de données statistiques ne diminuera pas l’intérêt des études qualitatives portant sur les mécanismes économiques, sociaux et psychologiques à l’œuvre. Certains facteurs de risque importants ne se prêtent pas, ou mal, à une évaluation statistique. Des études qualitatives peuvent révéler l’existence de risques psychosociaux émergents. Des études qualitatives demeureront nécessaires pour s’assurer de la compréhension du questionnaire et de l’absence de dérive des questions au fil du temps. Se borner à un suivi statistique sans réaliser d’observations qualitatives risquerait donc de conduire à une utilisation des statistiques manquant de pertinence. »
Les 6 facteurs mis en avant dans le rapport
- L’axe « intensité (et complexité) du travail et temps de travail ». Ce premier facteur insiste sur « les contraintes de rythme, les objectifs irréalistes ou flous, les exigences de polyvalence, les responsabilités, les instructions contradictoires, les interruptions d’activités non préparées et l’exigence de compétences supérieures à celles possédées par le travailleur » mais également sur l’organisation du temps de travail (horaire de nuit, atypiques, gênant la vie personnelle…) et sur l’impact des nouvelles technologie sur le rapport à la productivité et sur la séparation entre vie professionnelle et vie privée.
- La notion d’exigence émotionnelle. Cette notion avait déjà été décrite par Hochschild en 1985, sous le nom de « travail émotionnel ». « Celui-ci consiste à maîtriser et façonner ses propres émotions, afin de maîtriser et façonner celles ressenties par les personnes avec qui on interagit lors du travail ».
- L’idée d’autonomie au travail. « Elle désigne la possibilité pour le travailleur d’être acteur dans son travail, sa participation à la production de richesses et la conduite de sa carrière et de sa vie ».
- Les rapports sociaux au travail. Ce sont les rapports entre les collaborateurs mais également entre les salariés et leur hiérarchie. « Ces rapports sociaux doivent être examinés en lien avec les concepts d’intégration (au sens sociologique), de justice et de reconnaissance ».
- La souffrance éthique ou conflit de valeurs. « La souffrance éthique est celle ressentie par une personne à qui on demande d’agir en opposition avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles ».
- L’insécurité de la situation de travail comprend l’insécurité socio-économique et le risque de changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail ».